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Les coulisses de l’intervention sociale et éducative
Programme scientifique ISPAT 2024-2026
Le travail collectif du thème ISPAT s’articulera autour d’une thématique commune : Les coulisses de l’intervention sociale et éducative qui structurera le travail scientifique pour deux ans. Il s’adosse à un séminaire scientifique tous les deux mois, alternant des présentations des travaux des membres d’ISPAT et l’invitation de chercheurs extérieurs. Une journée d’étude ainsi qu’une publication collective viendront clôturer le programme scientifique à l’issue des deux années.
L’objectif du programme est d’analyser les coulisses des institutions et des professionnels comme lieux d’élaboration des normes et des savoirs informels, des discours et des pratiques de résistance ou de mise en conformité, des frontières entre professionnels et profanes. Il s’agit d’explorer la perspective des coulisses en l’appliquant également aux usagers, à leurs résistances ou de mise en conformité, leurs savoirs ordinaires et leurs négociations. Il ambitionne de formaliser théoriquement un angle mort des recherches sur les « coulisses » : celles concernant les usagers. Les différentes configurations sociales qui traversent les recherches des membres du thème (travail, institutions, fabrication des politiques publiques, territoires et usagers), sont interrogés à partir de cette perspective.
Erving Goffman définit les coulisses dans une approche dramaturgique de la vie sociale. La vie sociale est segmentée, elle est plurielle, elle s’organise selon des lieux et des rôles, lesquels sont dotés de significations qui donnent lieu à des représentations, des manipulations, des négociations. Comme au théâtre, nous porterions des masques sur différentes scènes, et une des questions qui traversent l’œuvre de Goffman est celle de la sincérité versus la duperie de l’acteur. Il ne s’agit pas pour cet auteur d’une perspective morale, mais plutôt de rendre compte des différentes couches « symboliques » de la réalité d’une institution ou bien de l’identité d’un individu.
Nous proposons d’axer le programme de recherche de la prochaine année du thème ISPAT sur les « coulisses » de l’intervention sociale et éducative dans un double objectif : adopter une perspective qui reste encore peu explorée dans ces champs de recherche et ainsi compléter les apports des travaux réalisés précédemment au sein du thème (Costes et Mounir (dir.) (2025).
Orientation 1. Les coulisses des institutions et des professionnels comme lieux d’élaboration de production, de discussion et d’institutionnalisation des normes
Le premier intérêt scientifique sera d’étudier les coulisses comme des analyseurs des transformations de ces secteurs. Dans une perspective comparative, la transversalité de la notion permettra d’appréhender à partir du même objet les configurations sectorielles très hétérogènes qui traversent les recherches des membres du thème (travail, institutions, fabrication des politiques publiques, territoires et usagers) en favorisant un croisement des échelles d’observation et des niveaux d’analyse (macro, méso, micro). En effet, cet espace des coulisses, avec ses dynamiques propres, est à situer dans un contexte social plus large structuré par les évolutions des politiques éducatives et sociales sous les effets de la nouvelle gestion publique. La demande de transparence, l’intérêt pour le off, vers plus d’explicite, de rationalisation et de formalisation apparaissent caractéristiques de ces évolutions. Alors que les objectifs des projets et des dispositifs peuvent saturer l’espace du travail tout autant que leurs évaluations, l’informalité même se formalise désormais comme compétences dans les référentiels professionnels. Les tensions entre les scènes visibles et invisibles, entre excès de transparence et résistances à cette transparence seront analysées.
Si l’observation du travail et des interactions en coulisses permet d’avoir accès à une granularité fine du travail informel, les coulisses ne peuvent être saisies en dehors de la « scène » de travail à proprement parler, et plus largement des normes qui circulent dans l’espace du travail. D’une part, ces espaces cachés peuvent être producteurs de normes en eux-mêmes et transformer le travail et son organisation, voire participer à l’élaboration des politiques publiques comme c’est par exemple le cas dans les négociations interindividuelles entre groupes d’influence. D’autre part, ces espaces offrent des marges de manœuvre pour se soustraire, échapper ou résister à des injonctions, des normes de bonne pratique et au travail prescrit. Entre production de normes, imposition des normes et espace-temps qui permet de discuter les normes existantes, les coulisses comme lieux de réflexivité seront l’occasion d’interroger et de renouveler l’appréhension des dynamiques entre travail formel et informel.
Les coulisses permettront enfin une entrée pour étudier le rapport aux institutions et leurs configurations nouvelles, voire les processus de désinstitutionalisation à l’œuvre en reposant la question du découpage spatial et symbolique entre scène/coulisses. Les coulisses peuvent être des espaces d’institutionnalisation par le bas, même si les acteurs ont souvent le sentiment de n’avoir aucune prise sur les orientations politiques et institutionnelles. Tandis que le brouillage scène/coulisses dans certains types d’intervention, comme pour les aides à domicile où les deux espaces se télescopent, interroge en creux, par cette absence de distinction, leur fonction dans la constitution des collectifs de travail et leur rôle de médiation. Est-ce que ce sont les coulisses qui manquent ou la scène de travail ? Que saisir de l’absence de coulisses observées dans les métiers à domicile ou dans certaines institutions : sont-elles des espaces indispensables à la réalisation du travail ? Quelles sont les conséquences du manque de coulisses ? S'invitent-elles sur la scène, ou font-elles de l’ombre à la scène en mettant l’intimité des travailleurs au cœur de l’arène sans possibilité de constituer un espace d’entre-soi ?
Orientation 2. Culture professionnelle informelle des professionnels de l’intervention sociale et éducative
L’analyse des coulisses a été mobilisée, plus communément, pour observer le travail des professionnels comme lieux d’élaboration des normes et des savoirs informels, des discours et des pratiques de résistance, des frontières entre professionnels et profanes. Par cette focale, elles incarnent le lieu privilégié d’observation de la constitution d’une culture professionnelle informelle (Kilic, 2022) des professions dans les champs social et éducatif en permettant d’accéder à l’ensemble des normes informelles produites par des professionnels au cours de leur activité, des interactions qu’ils ont entre eux, et avec les clients (feed back qui vont les faire évoluer, modifier leur valeurs). Cependant, la culture professionnelle informelle n’est pas homogène, et il faut être attentif non seulement aux points communs, mais aussi aux divergences entre les professionnels. En coulisses, les normes de travail ne disparaissent pas et les négociations et les arbitrages continuent sur un autre registre. À cet égard, ce lieu, permet de saisir les langages vernaculaires et les savoirs coupables (Hughes,1996). Cette analyse permet une attention plus fine au travail réel, à la construction des professionnalités auto-organisées et à l’accordage entre professionnels.
Dans cette perspective le travail de l’axe consistera à revisiter la dimension heuristique du concept des coulisses dans des contextes de travail en mutation en comprenant par exemple la manière dont le turn over, la précarisation du travail joue dans la constitution même du collectif, du travail informel et de la transmission intergénérationnelle dans ces espaces (Divay, 2011).
C’est bien dans les écarts de posture, de langage et de discours avec la scène, que les coulisses donnent accès à un rapport plus attentif à l’investissement subjectif dans le travail. S’y exposent et s’y partagent entre professionnels la question du sens du travail, sans fard, avec ses valeurs, ses idéaux mais également les désillusions et les souffrances qui peuvent s’y laisser entendre. Espace où les masques tombent, pour reprendre la métaphore théâtrale, les coulisses sont le lieu d’un travail émotionnel (Hochschild, 2017; Jeantet, 2018). Les travailleurs tentent de modifier, décharger, respirer ou se reconnecter avec leurs propres émotions. Là encore l’absence de ces espaces délimités, permettant de se ressaisir, sera à interroger dans ces conséquences sur le vécu du travail. Quels sont les impacts sur les professionnels ?
Orientation 3. Les savoirs coupables des profanes
Dans le sillage des travaux du thème ISPAT sur Les nouvelles figures des usagers, de la domination à l’émancipation (Argoud et al.,2017), interroger les coulisses des usagers sera l’occasion de prolonger la réflexion sur leurs espaces d’auto-organisation, de résistances, de la constitution des savoirs ordinaires et de négociations à distance des institutions ou des professionnels. Il s’agira tout d’abord de définir quels sont ces lieux qui se constituent comme coulisse visible ou invisible, virtuelle ou physique, mais également de penser ces interactions en fonction des différentes ressources et position sociale des usagers. Ces espaces sont aussi des supports d’une « professionnalisation » des profanes en ce qu’ils permettent de trouver des leviers de négociation, voire de chantage dans le rapport aux institutions. Est-ce que ces moyens de se réunir peuvent constituer un art de la résistance passive ou active (Scott, 2019) ? Les stratégies des bénéficiaires peuvent-ils constituer une matière pour la revisiter sous l’angle des coulisses ?
Orientation 4. Des perspectives méthodologiques
Le programme de recherche sur les « coulisses » s’attachera à mener une réflexion sur les outils méthodologiques à même de saisir cette scène cachée de l’observateur à distance. Comprendre les interactions et la fonction sociale des coulisses c’est d’une part pouvoir mener un travail d’observation ethnographique qui pose la question des modalités de l’accès au terrain. C’est d’autre part saisir la portée et le sens de ses différents usages par les participants, via la méthode des entretiens conversationnels avec une approche compréhensive. La particularité de ce terrain est d’approfondir des pistes de recueil de données sur le travail invisible, insu et à indicible qui s’élabore dans ces espaces cachés aux yeux des profanes ou du public. Quelle est la place du chercheur dans ce type d’enquête? Ne doit-il pas faire preuve d’une certaine inventivité en recourant à l’ethnographie d’espace virtuel ou des espaces de socialisation de l’entre-soi qui échappent à l’objectivation ? En accédant aux coulisses, quels sont les enjeux éthiques et les risques de trahison à dévoiler de ce qui reste habituellement dans l’ombre ?
Le programme de recherche sur les coulisses prend en compte l’articulation formation, recherche scientifique et acteurs de l’intervention sociale et éducative du territoire de l’UPEC avec ses Masters adossés au laboratoire.
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